Treizième carnet (2014) Suite 3

Léon Bloy pauvre martyr

Lu le Journal de Léon Bloy où il n'est question que d'argent et d'« amis lâcheurs » car ceux-ci ne répondent pas à ses besoins de numéraire. Qu'il est loin le Léon d' « Exégèse des Lieux Communs » ! J'avais gardé le souvenir d'un auteur au style vif crucifiant le bourgeois, pourfendant l'hypocrisie de la société, dénonçant la marchandise, invectivant le païen. Son journal montre que sa préoccupation journalière c'est l'argent, le fric, le pognon, le pèze, le flouze, le blé, l'avoine, la thune. Un obsession de tous les instants sans aucune pudeur, mendiant permanent, se soumettant aux mêmes assujetissements qu'il dénonce haineusement chez les autres.
« Il souffre le martyre, il souffre comme un martyr. Toutes les fois qu'un bourgeois expie, avant de crever, les saletés de son existence, il est martyr, ça ne rate pas. On déshonore ainsi un mot et une idée admirables, c'est toujours ça. Autrefois martyr signifiait "témoin" et les martyrs enduraient par choix et de leur plein gré, d'horribles tourments pour rendre témoignage de la Vérité crucifiée. Tout cela est considérablement changé. » C'est Léon Bloy qui parle dans « Exégèse des Lieux Communs ». Ainsi Léon Bloy pense dénoncer le bourgeois mais, à bien y réfléchir, c'est de lui dont il est question ici. Qui plus est, en reprenant en mains « Exégèse des Lieux Communs » on s'aperçoit de l'omniprésence de cette fixation sur le fric ; les expressions qu'analyse Léon Bloy tournent, pour beaucoup d'entre elles, autour de cet axe ; quelques exemples : Le temps, c'est de l'argent ; L'argent n'a pas d'odeur ; Tout ce qui brille n'est pas or ; Qui veut la fin veut les moyens et il n'y a pas de petites économies, etc. Dans la nouvelle série d' « Exégèse des Lieux Communs » il n'est quasiment question que de cela : du n° CV (105) au n° CXXII (122) toutes les locutions sont couleur monnaie. L'obsession vénale du Bourgeois est aussi celle de Léon Bloy !
Un argent que Léon Bloy implore autant que son Bon Dieu dans son Journal, plus souvent veau d'or finalement que blanche colombe. Il se qualifie lui-même de "mendiant ingrat". « Le manque d'argent est tellement le mystère de ma vie que, même lorsque je n'en ai pas du tout, il a l'air de diminuer » écrit-il. Tout est dit. Un certain Loïc Decrauze sur le site Babelio qualifie Léon Bloy de « sangsue repoussante dans la vie. » Pas mieux...